Transcription du carnet de notes de Joannès Chazalon par Lucien Bastet (suite)

Suite du carnet (du dimanche 8 au lundi 8 novembre 1943)

 


Dimanche 8 – A 4 heures ½, nous rentrons dans la salle de classe, la porte ayant été laissée spécialement ouverte, et montons à la mairie. A ce moment Madame et M. Crouzet se lèvent et c’est avec joie que nous sommes reçus. Nous commençons d’abord par boire deux tasses de café au lait et fumer des cigarettes l’une après l’autre. A 8 heures, nous déjeunons avec tout ce qu’il faut. Mais ce n’est rien par rapport au souper et au dîner. Rien ne manque, un vrai banquet, légumes, fruits, dessert assorti, vin vieux, champagne, café rhum, vraiment il y a de quoi en prendre une indigestion. L’après-midi, nous restons à la mairie et regardons le développement de la fête compagnon. Après dîner, profitant de la nuit, nous sortons et allons nous poster sur la route des Granges où nous assistons à la représentation nocturne ; une heure après, tout est terminé et nous rentrons heureux comme des princes, non pas pour avoir pu observer de près cette fête où il n’y avait aucun entrain, mais de la réception qui nous a été offerte par Mme et M. Crouzet. Journée inoubliable dans les annales du maquis.

 

Lundi 9 – Pas besoin d’en parler, journée où nous restons couchés tout le jour. C’est une bonne vie que le maquis quand même !


Mardi 10 – 5 mois de maquis pour mon compte. Des bons et des mauvais moments ont marqué ce laps de temps. Le moral est excellent car nous sentons que la délivrance approche.


Mercredi 11 – Jeudi 12 – Vendredi 13 – Samedi 14 – Journées calmes. Rien de nouveau à signaler.


Dimanche 15 – Nous décidons d’aller passer la journée dans les bois. Avant le jour nous partons, emportant le ravitaillement nécessaire. Nous prenons la direction de « La Broze » où nous allons visiter les anciennes cagnas. Ensuite, nous prenons la direction de « Rivedelle » où nous passons la journée à pêcher, si bien quand vient la tombée de la nuit, nous avons pris 88 truites.


Lundi 16 – Aujourd’hui donc, nous mangeons la friture.


Mardi 17 – Comme l’oncle à René va chercher du bois journellement à St Privas, nous décidons d’aller y passer quelques jours. Là-bas, nous risquerons rien, nous sommes pas connus.

 

Mercredi 18 – Ayant décidé de partir jeudi matin, nous nous préparons lorsque Doudou vient nous avertir que nous ne pouvons y aller, parce que le camion est en panne.


Jeudi 19 – Ce n’est pas pour aujourd’hui, nous devons attendre.


Vendredi 20 – Le soir, Doudou revient pour nous dire que nous pouvons y aller demain, que le camion remarche.


Samedi 21 – Donc, à 3 heures, nous prenons le chemin de Veyrac, via la route des Granges. Nous allons jusqu’au croisement de la route de Vazeilles et là nous attendons. A 8 h 30, le camion arrive et en voiture pour St-Privas. Nous stoppons pour aller boire un « canon » et ensuite prenons la route pour aller au bois. Nous aidons à charger après quoi, nous allons nous promener ; nous mangeons des poires, prunes et pommes, car ici c’est le pays et allons rendre visite à ces braves gens qui vont nous faire la soupe matin et soir et nous faire coucher (toujours dans le foin évidemment). Comme partout ailleurs, nous sommes bien reçus. Au second voyage, nous repartons pour Fix et arrivons le soir vers les 10 heures.


Dimanche 22 – Le matin, toilette. Le soir, grande distraction, nous sommes 7 ou 8 filles et garçons, aussi passons nous une joyeuse soirée.


Lundi 23 – Il pleut, nous ne pouvons repartir pour St-Privas, nous attendrons demain.


Mardi 24 – A la même heure, nous reprenons la même direction pour monter dans le camion. 1 heure après, le voilà et en route. Cette fois, nous allons rester un peu plus, notre séjour sera jusqu’à jeudi soir.


Mercredi 25 – Le matin lever à 8 ou 9 heures. Après la soupe, nous prenons le chemin du bois et nous aidons à traîner et à charger les arbres. Le soir, nous décidons avec le patron qui nous prête asile d’aller à la pêche dans l’Allier qui est à demi-heure de la maison. Nous y restons jusqu’à minuit et nous repartons après avoir pris 54 pièces, grandes ou petites.


Jeudi 26 – A midi, nous mangeons donc la friture. Nous allons ensuite charger le camion. Tout en exécutant ce travail, nous voyons venir à nous deux gendarmes, nous les attendons de pied ferme, nous serons toujours à temps de déguerpir s’ils nous cherchent des histoires. Mais tout ce qu’ils nous disent c’est, bonjour ; nous leur répondons amicalement. Nous apprenons par M. Durand que Montagne a été tué, par qui ? … En tout cas, c’est qu’il n’avait pas bien agi. A 19 heures, nous reprenons le chemin de Fix et arrivons sans encombre à 23 heures.


Vendredi 27 –Dimanche prochain étant la fête de Fix, nous décidons, malgré étant cachés, de ne pas rester indifférents, pour rénover le souvenir de ceux qui leurs noms sont gravés sur le monument aux morts. Bien ou mal, nous confectionnons une couronne, sur laquelle nous fixons des lettres reproduisant ceci : « les jeunes du maquis à leurs camarades morts pour la France, nos sacrifices ne seront pas vains ».


Samedi 28 – Alors que la couronne est terminée, nous décidons d’aller la déposer au monument dimanche aux premières heures du matin.


Dimanche 29 – Chose promise, chose due. A 3 heures 30, la couronne est accrochée. Nous pouvons dormir tranquilles en attendant le jour et les commentaires sur cet acte patriote. En effet, la nouvelle est vite répandue et tous ceux qui ont du vrai sang français dans les veines n’hésitent pas et n’ont pas honte de venir se recueillir devant les noms de ces braves. Pour nous, nous passons une bonne journée, nous faisons un bon petit repas et pour la première fois, et la dernière j’espère, nous passons la fête de Fix enfermés dans une grange.


Lundi 30 – Le soir, nous décidons de nous rendre à Lachaux, chez la coiffeuse et chez l’oncle à Vigouroux. A 23 heures, nous arrivons ; nous n’en repartons qu’à 5 heures du matin non sans en avoir pris presque la cuite. A la pointe du jour, nous rentrons de nouveau.
Mardi 31 – Pas de doute, aujourd’hui sera pour nous une journée de sommeil.


Mercredi 1er septembre – Nous apprenons que ces braves miliciens de Fix qui se sont vantés de vouloir faire leur devoir jusqu’au bout, ont bien voulu avertir la police sur la présence d’une couronne au monument aux morts et qu’un bal organisé par les jeunes de la classe avait eu lieu dimanche soir. La police est donc à nouveau en branle-bas. Ce même jour, à 6 heures du matin, le procureur de la République, accompagné de 3 inspecteurs de la sûreté ont fait le tour du monument mais la couronne avait disparu. Elle ne tombera pas entre les pattes de ces traîtres. M. Crouzet l’avait enlevé lundi soir.


Jeudi 2 – Enquêtes sur enquêtes. Plusieurs personnes sont surveillées, particulièrement le Maire qui risque d’être révoqué et même interné pour avoir demandé dimanche, au cours de la cérémonie au monument aux morts, une minute de silence pour nos morts de 14-18, de 39 à nos jours, pour nos prisonniers et pour nos réfractaires. Où sommes nous pas venus, voir que de mauvais Français n’hésitent pas à vendre leur pays et leurs enfants à l’ennemi. Ah non ….. La vengeance sera douce.
Vendredi 3 – Même journée, toujours la police qui cuisine tous les suspects.


Samedi 4 – Tout a l’air de se tasser. Pour les jeunes, ils en seront quitte d’une petite amende. Quant à la couronne, personne ne sait qui l’a mise, qui l’a enlevée. Nous apprenons le soir que les Anglo-américains ont débarqué en Italie. La libération approche. Nous décidons d’aller passer notre dimanche en ville chez René. A 10 heures, nous partons et pour la 3e fois en 6 mois, je couche dans un lit.


Dimanche 5 – Le matin, toilette et grand déjeuner. C’est un autre jour de banquet. Là, nous pouvons voir tous les gens qui circulent sur la route ou se rendent dans les cafés. En soupant, qui nous voyons pas entrer : Mlle Viallet Julie, la patronne de notre hôtel préféré. Ayant su que nous étions chez René, elle vient nous rendre visite et nous apporte une de ses bouteilles de bon vin vieux. Vers 22 heures, nous repartons chez nous. Je peux l’appeler chez nous, puisque nous sommes comme des rois, bien nourris et nous sommes tranquilles, la preuve en est, voilà près de deux mois que nous y sommes et personne ne s’en doute.


Lundi 6 – Lendemain de gueuleton, donc jour de sommeil.


Mardi 7 – A 5 heures debout et après avoir bu le « jus », nous partons pour Chantegris, où nous devons prendre le camion de M. Durand pour aller au bois toujours du côté de St-Privat. Nous traversons Lachaux, Siaugues, comme nous sommes bien connus dans ces patelins, plusieurs personnes nous auront peut-être vus, pour ça, on, s’en fiche, l’essentiel est qu’elles ne savent pas où nous sommes. Après avoir chargé le camion et avoir mangé, nous partons pour La Roche, village à 20 minutes du bois, pour y trouver le frère à Vigouroux. Heureuse rencontre, après 2 heures de conversation, nous repartons. Cette rencontre nous a rapporté un paquet de tabac. Ensuite nous reprenons la route de Fix. Comme il n’est pas encore nuit pour pouvoir rentrer, nous attendons le moment opportun dans les bois et, toujours avec les mêmes précautions, à 22 heures nous rentrons.


Mercredi 8 – Heureuse journée car nous apprenons vers les 5 heures du soir que l’Italie a capitulé sans conditions ; nouvelle victoire, nouveau pas vers la libération. Pour l’arroser, nous allons chez moi boire le café et y restons jusqu’à 1 heure du matin.


Jeudi 9 – Comme d’habitude, nous avons le journal et commentons les nouvelles ; d’un jour à l’autre, il faut s’attendre à l’action tant désirée en France, le débarquement. Nous apprenons le soir que la police secrète était de nouveau à Fix. Aujourd’hui, cette fois, pour René. En deux ou trois fois, il avait pris le camion devant sa porte, il a été vu et vendu par ceux qui croient servir la police par de lâches dénonciations, mais qui, en fait, ne laissent derrière elles que d’exécrables relents.


Vendredi 10 – 6 mois de maquis. Le moral est excellent car la quille approche.


Samedi 11 –Dimanche 12 – Lundi 13 – Mardi 14 – Journées calmes. RAS.


Mercredi 15 – Nous aidons à battre des gerbes à M. Terle, la journée s’écoule vite.


Jeudi 16 – Même journée.

Vendredi 17 – RAS.


Samedi 18 – Grande toilette et préparatifs pour le lendemain car nous allons faire un autre gueuleton chez mon cousin François Bérard. Vers les 22 heures, nous partons et pour la 4e fois, je coucherai dans un lit.


Dimanche 19 – A 7 heures, la café est servi au lit et à 9 heures, nous nous levons pour déjeuner. A midi, rien ne manque, un vrai banquet. Tout en bavardant, la journée passe très vite et vers minuit, heureux comme des rois, nous repartons vers notre coin tranquille.


Lundi 20 – Journée de repos et de sommeil.


Mardi 21 – La journée se passe en battant des gerbes.


Mercredi 22 – Nous travaillons à l’écurie à faire des réparations d’outillage et divers autres bricolage pour le compte de nos frères de la Vengeance.


Jeudi 23 – Même journée. Le soir, nous décidons d’aller rendre visite à Monnier Marius. A 23 heures, nous rentrons chez lui. Depuis plus de 3 mois nous ne l’avions pas vu, aussi nous en avons à discuter, si bien que nous repartons vers les 4 heures du matin. Pas plus à lui qu’aux autres, nous ne disons pas où nous sommes. Ce sera secret jusqu’à la fin, car si nous avions l’hiver à passer, nous ne tenons pas à être repéré aussi bien que pour notre intérêt et pour ne pas amener des ennuis à M. Terle.


Vendredi 24 – Jusqu’à midi nous restons au lit et le soir nous bricolons à nouveau ; les semaines passent vite, la vie est meilleure que dans les bois, surtout maintenant en automne.


Samedi 25 – Journée comme toujours monotone.


Dimanche 26 – L’après-midi, nous avons la visite de Rémy et Jean Leyre. Ils nous apportent deux litres de pinard, nous passons donc la soirée tranquilles en jouant la belote.


Lundi 27 – A 20 heures nous partons pour Lachaud pour se rendre d’abord chez la coiffeuse ensuite chez l’oncle de Vigouroux. Chez ce dernier nous mangeons et buvons à volonté, si bien que nous en repartons qu’à 5 heures du matin. A la pointe du jour, nous rentrons.


Mardi 28 – Journée de sommeil.


Mercredi 29 et Jeudi 30 – Journées de bricolages.


Vendredi 1er octobre – Aujourd’hui nous apprenons que les organisations pour la délivrance prennent de l’ampleur un peu partout. A Fix, c’est le départ d’une d’elles qui a à sa tête M. Durand. Par lui nous recevons tous les ordres nécessaires pour le grand jour. Nous devrons aussi antérieurement, recevoir de quoi nous défendre. Le soir, nous allons rendre visite à Besqueut.


Samedi 2 – A 20 heures, nous partons chez René pour y passer le dimanche. En arrivant chez lui, nous voyons une grande lueur dans le lointain. C’est au Puy que ça a lieu, c’est des baraquements aux boches qui brûlent. Le même jour, 80 détenus politiques sont délivrés de la prison du Puy : aussi la police était-elle sur les dents. La bagarre commence.


Dimanche 3 – Donc nous passons la journée tranquilles. Après-midi, c’est un va et vient de la police sur la route, motos et camions vont et viennent du Puy. La secrète se trouve à Fix et, comme d’habitude, va se renseigner chez le milicien Eymard. Nous sommes aussi bien renseignés qu’eux : cette fois, c’est pour M. Le Maire qui a été dénoncé pour avoir ravitaillé les réfractaires, pour René qui rentre soi-disant tous les samedis chez lui, ainsi que Pierre Leyre. Donc il faut s’attendre à des perquisitions, comme toujours elles seront négatives, et ces braves miliciens de Fix seront une nouvelle fois les plus déçus et auront contre eux une nouvelle accusation. A la nuit tombante, nous redescendons chez M. Terle.


Lundi 4 – A partir d’aujourd’hui, tous les préparatifs et ordres doivent se mettre en exécution avant l’ordre décisif. Nous préparons et réquisitionnons tous les casques et cuirs disponibles et former des groupes parmi les réfractaires ou autre bons Français.


Mardi 5 – Mercredi 6 – Jeudi 7 – Nous préparons et mettons à l’état neuf tout ce que nous pouvons réquisitionner.


Vendredi 8 – Depuis quelque temps, nous voyageons dans toute la maison et mangeons à la cuisine. Pour le soir, nous mettons un bout de bois sous le loquet de la porte pour qu’on ait le temps de se cacher avant que quelqu’un rentre. Pour ceux qui sont dans la combine doivent frapper 3 coups aux carreaux de la fenêtre, alors nous ne nous dérangeons pas. Or ce soir, comme nous étions en train de souper tranquillement, quelqu’un tape à la porte : immédiatement nous décalons ; mais trop tard, le bout de bois qui tient le loquet a sauté, alors la porte s’ouvre librement, il n’y a pas de doute, nous sommes vus. Par bonheur ce quelqu’un n’est autre que Madame Hélène Rodier, avec elle nous pouvons être tranquilles. Nous passons la soirée joyeuse, contents de se revoir.


Samedi 9 – Alors que René était allé chez lui, en rentrant le soir, nous apprend que Chapon sait où nous sommes, qu’il l’a même dit à Doudou. D’après ce dernier, ce précédent aurait changé de veste et se rangerait aux côtés de la milice. Nous n’avons qu’une chose à faire, se tenir sur ses gardes. Aussitôt, nous préparons les sacs et ramassons tout ce qui pourrait être compromettant en cas de dénonciation suivie de perquisition.


Dimanche 10 – 7 mois de maquis. Ce n’est pas ça qui nous donnera la « pétoche » puisqu’à 6 heures du matin, nous allons chez moi pour y faire un petit gueuleton. A minuit, nous rentrons à nouveau tranquilles dans la grange.


Lundi 11 – Nous faisons la matinée et, l’après-midi, nous nous contentons de bouquiner.


Mardi 12 – Alors que nous étions en train de dîner, une femme rentre inopinément, juste le temps de fermer la porte et de ne plus bouger. Elle ne fait allusion à rien à M. Terle, peut-être ne nous a-t-elle pas aperçus. Quelques instants après, elle part ; en chemin elle trouve Mme Terle et lui demande qui c’est qu’elle camoufle, qu’elle a vu seulement les jambes d’un d’entre nous, mais qu’elle n’a pas connu. Pour tout arranger, Mme Terle lui dit : « C’est Paul Vigouroux, je l’ai rencontré dans les bois, l’ai fait venir passer quelques jours chez moi », après quoi, lui fait jurer de fermer sa boîte. Cette femme était Mme Bérard, son mari étant prisonnier, je ne crois pas qu’elle le chante un peu partout. Si elle tient à être tranquille après guerre, elle n’a qu’à se taire.


Mercredi 13 – Jeudi 14 – Nous continuons à mener notre vie monotone.


Vendredi 15 – Comme M. Terle bat à la machine demain, il nous faut déménager. Nous irons passer quelques jours chez René. Toute la journée, nous ramassons tout notre barda afin de laisser aucune trace et à 21 heures, nous partons.


Samedi 16 – Donc nous passons la journée à casser du bois.


Dimanche 17 – Nous passons la journée à faire la belote et à faire du tir.


Lundi 18 – Nous reprenons notre travail, à casser du bois et à 21 heures nous redescendons chez M. Terle.

Mardi 19 – Nous vivons toujours dans l’attente et l’espoir de la libération.


Mercredi 20 – Le soir nous allons passer la soirée chez Mme Hélène Rodier, où nous la passons agréable.


Jeudi 21 – Vendredi 22 – Samedi 23 – Journées toujours monotones.


Dimanche 24 – Le matin, nous faisons la grande toilette hebdomadaire et l’après-midi, alors que nous avons rassemblé 4 ou 5 jeunes filles, nous dansons toute la soirée à la grange. A la veillée nous nous rendons chez moi et tout en s’amusant nous prolongeons notre présence jusqu’à minuit 30.


Lundi 25 – Mardi 26 –Mercredi 27 – Mêmes journées. Nous vivons toujours dans l’attente et l’espoir.


Jeudi 28 – Le soir nous descendons à Lachaud, chez l’oncle à Vigouroux. Nous sommes 7. Ma soeur, Mlle Terle et son frère, une cousine à ces derniers et nous trois. Ayant été avertis 4 ou 5 jours avant, ils nous ont préparé un petit gueuleton. Nous passons une agréable soirée et nous rentrons à Fix à 4 heures du matin.


Vendredi 29 – Samedi 30 – RAS


Dimanche 31 – Après-midi, Rémy Bérard vient nous voir et nous apporte 2 litres de vin blanc, et nous passons la soirée à jouer la belote tout en sirotant les deux litres. Nous sommes invités à passer la veillée chez M. Crouzet. Comme toujours il y a à boire et à manger et jusqu’à 1 heure du matin, nous conversons ensemble.


Lundi 1er novembre – Pour ne pas changer, l’après-midi, Doudou arrive, apportant encore deux litres de vin blanc. Si le début du maquis avait été plus dur, maintenant « All right ».


Mardi 2 – Mercredi 3 – Jeudi 4 – Vendredi 5 – Journées sans histoires.


Samedi 6 – Après souper, nous montons chez René. Son père étant au Puy, a appris que tous les réfractaires peuvent se faire régulariser leur situation à partir d’aujourd’hui, une note officielle ayant déjà parue et confirme la nouvelle. Donc un de ces jours nous irons au Puy pour faire le nécessaire.


Dimanche 7 – René sort toute la journée. Le soir nous nous rendons tous chez Comte pour prendre part à un bal organisé par les jeunes. Là nous retrouvons tous nos amis et même nos ennemis. Nous ne faisons mention de rien – aussi bien de la part des premiers que celle des derniers - nous sommes les bienvenus et tout se passe à merveille jusqu’à 1 heure du matin.


Lundi 8 – C’est aujourd’hui que René et son père se rendent au Puy pour essayer de reprendre la liberté – liberté provisoire peut-être !
Si tout marche bien, demain ce sera notre tour. A 20 heures, René arrive, content comme un roi, et dit : « Tout va bien, nous pouvons sortir, on nous donne tous les papiers nécessaires, ordre de mutation, carte d’alimentation, carte d’identité, etc. …après quoi nous serons en situation régulière.
Pendant ce temps, d’autres choses se sont passées. Certains jeunes gens, dès la sortie du bal, se sont présentés à la recette buraliste, ont enfoncé la porte, tapé le receveur et volé du tabac ; par-dessus le marché, le bal est dénoncé. Rien ne va plus, la police est avisée, même refrain, enquêtes et interrogatoires se succèdent. Le soir je rencontre les gendarmes chez moi, me trouvant encore en situation irrégulière, je ne peux faire ma déposition. Nous conversons longuement ensemble sur toutes les controverses que nous avons vécu pendant 8 mois de maquis. Après quoi, nous allons nous coucher tranquilles en attendant de se rendre à la Préfecture pour se faire remettre en situation régulière.


FIN DU JOURNAL



NOTE ANNEXE


Carnet au jour le jour (commencé le 10 mars 1943 par M.R.* terminé par C.J.* le 10 novembre 1943) relatant notre épopée dans le maquis.
Mort de M.R. le 25 août 1943.
Après une régularisation de notre situation, nous avons continué à oeuvrer pour la Résistance, étant toujours sous surveillance policière (allemande, française) et ce, jusqu’à la libération du département (août 1944).
Au mois d’octobre, je rentre C.J. à l’école de police à Clermont-Ferrand (château de l’Oradou). Février 1945, fin des classes et examen de sortie. Reçu 14e sur 60, je suis nommé à la 133e C.R.S. à Montluçon. Après un an de stage, je suis titulaire à la 121e C.R.S. à Limoges et j’y reste jusqu’au 1946. Après ma démission volontaire, je reprends la vie civile et le métier d’ébéniste que je continuerai jusqu’au bout, d’abord ouvrier et ensuite artisan.
Ainsi se termine cette période trouble de notre histoire, qui avouons le, a bien perturbé les meilleures années de notre jeunesse.


P.S. Je voudrais conclure pour honorer ceux que j’appelle les obscurs et sans gloire, qui ont fait un travail au service de la Résistance, mettant leur vie et celle de leur famille en jeu, sans jamais se vanter de ce qu’ils avaient fait.

* Montagne Robert, Chazalon Joannès.

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